Building a wall

Ce que dit l'éditeur

Juste à côté du passage qui me permet d'accéder au terrain vague par un portail rouillé, les ouvriers de l'usine de peinture, située juste en face prennent leur pause. Sur la petite plateforme en bois, construite au bord du chemin, les hommes se reposent, discutent, jouent aux cartes, mangent, partagent le thé et des bières fraîches. Juste derrière, camouflés par la végétation, deux hamacs sont tendus au dessus d'un ruisseau. Je n'ai pas d'autre choix que de passer devant eux. Du matin jusqu'au soir. Les mains souvent prises par des seaux remplis d'eau. La démarche maladroite. Ils m'observent en se marrant. Ils me lancent quelques phrases que je soupçonne moqueuses. Chaque jour, alors que je m'affaire du mieux possible à empiler mes briques dans cette chaleur moite, j'entends le grincement du portail qui s'ouvre dans mon dos. Un ouvrier rentre et se poste derrière moi, accroupit, circonspect. Pendant quelques minutes qui me paraissent bien longues, il constate l'avancée des travaux puis repart en silence. Je lis sur son visage une incompréhension que je trouve légitime. Cette petite entreprise me paraît bien futile, face à ces hommes et leur vie de labeur. Et un jour, alors que le mur se dresse fièrement sur son socle en ciment, ils m'invitent à m'assoir. Ils me servent un thé vert un peu trop fort pour moi. Je reste à leur côté. Je les observe, timide. Ils me questionnent. En vietnamien. Évidemment je ne comprends pas. Je tente l'anglais. Mais sans réponse. Tant mieux. J'aime ces silences et ces sourires gênés. Le lendemain c'est quelques plats à grignoter et des bières Saïgon, le nom du grand fleuve qui coule au bout du chemin, que l'on déguste ensemble. Et quand le soleil commence à décliner, il ne reste de leur passage que quelques cartes éparses et les restes d'un repas flottant dans le ruisseau. La veille de mon départ je détruis le mur et je leur dis au revoir.